Délocalisations

embout.jpgQui est le plus opposé au télétravail : l’employeur ou l’employé ?

La réponse est évidente : l’employé.

Si votre employeur pouvait confier votre job à un télétravailleur en Inde, en Chine à Madagascar ou ailleurs, il y a des chances qu’il le ferait. La bonne nouvelle, c’est que s’il ne l’a pas fait, c’est sans doute qu’il a plus à y perdre qu’à y gagner, peut-être même parce que vous apportez de la valeur ajoutée à votre job.

Donc, ne dites pas à votre employeur que vous souhaitez être télétravailleur. Dites-lui que vous souhaitez être délocalisé. Chez vous.

Ou si votre employeur souhaite délocaliser votre job à l’étranger, proposez-lui plutôt de le délocaliser chez vous.

Sauf que vous ne voulez pas être délocalisé. Même chez vous.

(Je dis vous parce que je m’adresse aux réticents ; ne vous sentez pas forcément personnellement visé).

Alors pourquoi ?

Ce que j’entends le plus souvent, je dirais 9 fois sur 10, c’est que vous n’auriez jamais la discipline de travailler si vous étiez dans vos propres murs.

Voilà un argument qui me paraît suspect. Si vous avez un job à faire et que vous ne le faites pas, vous allez être viré. Donc, vous le faites. Bien obligé. Sans parler du contrat moral qui vous oblige à donner un minimum de vous-même en échange de votre salaire.

Cet argument sous-entend surtout que si vous étiez chez vous, vous seriez tenté de faire toutes les autres choses si épanouissantes qui font le sel de votre existence.

Or, si vous ne passez plus 1 à 2 heures par jour dans les transports, si vous ne dépensez plus du temps et des sous à porter vos costumes ou vos tailleurs à nettoyer, si vous n’êtes plus obligé d’aller acheter des pompes à bouts pointus parce que les bouts carrés de l’année dernière c’est has-been (ou l’inverse, j’en sais rien), si vous ne pompez plus une partie non négligeable de votre salaire dans le réservoir de votre voiture, vous disposez justement de plus de temps libre et de pouvoir d’achat pour vous adonner à toutes ces passions dévorantes.

Ce serait déjà bon à prendre, non ?

Mais c’est là que le bât blesse. Sentir ce temps libre et ce pouvoir d’achat supplémentaires à portée de main ?

L’angoisse. Le vertige.

La crainte (fondée ou non) de se retrouver à travailler chez soi et de s’apercevoir qu’à part regarder la chaîne de téléachat (ou fasheun tivi), vous n’avez rien de vraiment mieux à faire que de bosser.

Un jour, il y a longtemps, alors que j’étais exceptionnellement bloqué dans un embouteillage monstre à l’entrée ou à la sortie de Paris, le chauffeur de mon taxi s’est mis à philosopher. Il me fit remarquer que la plupart des voitures n’avaient qu’un seul occupant. Je bafouillai alors quelque platitude compatissante sur le sort peu envieux de ces habitués des bouchons. Le chauffeur rigola doucement et me plaça en face de l’évidence même. Tous ces automobilistes solitaires, coincés pendant des heures, étaient bien contents. C’était leur petit moment de paix quotidien, entre le stress du bureau d’un côté et les exigences de leurs conjoints et les cris stridents de leur progéniture de l’autre, passé à fantasmer ou à écouter les blagues graveleuses des Grosses Têtes en toute impunité.

Tout ça pour dire que je ne suis pas naïf et que suis bien conscient que le télétravail n’est pas qu’une simple réorganisation du travail. À grande échelle, contraint ou forcé, c’est une révolution qui nous met en face de toutes nos contradictions (pour éviter les gros mots d’antan, comme aliénation).

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