Archives : janvier 2008

 
 

Enfin seul ?

cubicles.jpg Dans un commentaire par ailleurs élogieux, Bruno Moriset me demande à juste titre : “comment est-ce que tu gères la solitude au boulot” ?.

Bruno est géographe et à écrit un article exhaustif, fascinant et savant sur le télétravail : Télétravail, travail nomade : le territoire et les territorialités face aux nouvelles flexibilités spatio-temporelles du travail et de la production, disponible sur le site cybergéo, par ailleurs très beau et à l’ergonomie particulièrement soignée.

Bonne question, que je souhaitais justement aborder.

En tant que géographe, je comprends que Bruno porte un regard suspect sur les grands discours sur l’abolition par le cyberespace des distances et de la géographie. Il s’attaque aux mythes qui sous-tendent une certaine vision utopique et idéalisée du télétravail.

Il est indiscutable que malgré tous les beaux discours sur le télétravail, y compris sur ce site, se pose la question de la dimension sociale/humaine du travail qui est fortement remise en cause lorsque l’on travail tout seul chez soi.

Dans son commentaire, Bruno continue :

Moi, après 2 journées de boulot solo dans mon appart (même avec femme et enfants), je deviens chèvre, et j’aime bien une journée au bureau, un peu de tchatche et une bouffe avec certains collègues, etc. Et je crois que pour bcp de gens, c’est pareil. D’où le bide global du télétravail.

Je pense qu’il a raison. Mais comme je l’évoquais ailleurs, je pense que cette objection fondamentale au télétravail révèle une forme d’aliénation. On ne pourrait se réaliser qu’au travail, sous le regard (admiratif ou jaloux) des autres.

Oui, les bonnes bouffes et les discussions autour de la machine à café peuvent constituer le sel de nos journées au bureau. Oui, les gros 4×4 ou les grosses berlines de luxe sont sans doute amusants ou plaisants à conduire. Je veux bien le croire, mais est-ce bien utile, est-ce bien nécessaire et est-ce bien responsable en ces temps menacés par le réchauffement climatique ?

En attendant, je ne peux parler que pour moi. Je parlerai une autre fois des solutions à ce problème pour les télétravailleurs salariés (télécentres, etc.)

Je me rends bien compte que pour beaucoup des gens, mieux vaut une vie sociale au bureau, même lorsqu’elle est source de tension et de stress terrible, que de se retrouver seul avec soi-même.

Et puisque le télétravail reste marginal et qu’il s’agit généralement d’un choix personnel, cette question est tout à fait fondamentale lorsque l’on songe à franchir le pas.

J’ai connu des conditions de travail en entreprise très plaisantes et gratifiantes, avec des collèges que j’appréciais. J’ai connu l’inverse aussi. Des ambiances de merde (comme on dit), des collègues que je n’appréciais pas, que je ne respectais pas, une culture d’entreprise détestable, basée sur la suspicion, le cynisme, la rivalité et le stress comme méthode de management, etc.

Un jour, alors que j’avais quitté mon dernier job en entreprise depuis quelque temps, mon frère m’a confié que lorsque j’y étais encore, j’étais “devenu chiant” car je ne parlais plus que de mes problèmes de boulot. Je suis certain qu’il ne faisait pas allusion à des discours sur mon boulot en lui-même (comment résoudre tel ou tel problème technique inhérent à mon travail) mais bien à des lamentations incessantes sur les problèmes de politique interne, de rivalité de personnes, d’organisation, de luttes de pouvoir.

Il est indiscutable qu’en tant que télétravailleur indépendant, je me coupe des bonnes bouffes et des bonnes blagues (?) au quotidien. Mais de mon point de vue, c’est un très petit prix à payer pour échapper enfin à toutes ces tensions et luttes intestines qui me pourrissaient littéralement l’existence.

Et en vérité, les moments de solitude de nature angoissante sont rares. Lorsque je suis immergé dans mon travail, ma solitude de fait est des plus appréciables. Pas d’interruptions intempestives, une concentration totale qui me permet d’en faire plus en moins de temps.

Par ailleurs, au quotidien, je n’ai pas le sentiment d’être seul. J’ai un réseau de clients, de collègues et d’ex-collègues, (sans parler de ma compagne télétravailleuse comme moi), avec qui je communique par divers moyens modernes.

À ce titre, je remarque que je privilégie l’email, qui me permet de décider et de contrôler quand je communique, aux dépens des messageries instantanées ou du téléphone (je ne communique JAMAIS mon numéro de téléphone !), sources d’interruptions malvenues. Je remarque également que lorsque je travaille sur un projet à plusieurs, mes “collègues” traducteurs, à une exception près, font le même choix. Ils rechignent à utiliser des modes de communication en temps réel.

Le seul moment où je me sens parfois très seul, c’est en cas de trou d’air. Pas de boulot, la boîte d’email qui reste désespérément vide. Cela se produit inévitablement de temps à autre. Mais ce sentiment de solitude n’est alors qu’une source d’angoisse secondaire, comparée à celle de ne pas pouvoir faire face à ses obligations financières etc.

Par ailleurs, je trouve que la solitude de fait n’est pas forcément aussi douloureuse que la solitude que l’on peut ressentir en entreprise, lorsque les choses ne tournent pas rond et que le salut ne dépend pas que de vous.

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Il est bien plus facile de vivre dans l’anonymat (et d’en souffrir) dans une grande ville que dans un petit village.

Enfin, je me permets de faire remarquer à Bruno et à ceux que la solitude effraie, que le télétravail permet de reprendre le contrôle de son emploi du temps et de moins en perdre. Et ce temps gagné, je peux le consacrer à autre chose qu’au travail. J’ai le temps de bavarder avec la boulangère ou la caissière (je fais mes courses à heures creuses, ça aide), je peux déjeuner à l’occasion avec mes amis ou collègues sans regarder ma montre, je peux consacrer le temps que je ne passe plus dans les transports à mes enfants et à mes amis (vous avez bien des amis en dehors du boulot, non ?)

Et il n’y a pas que la quantité. La qualité de ces interactions est généralement bien meilleure. Je suis moins stressé et plus à l’écoute des autres (et de moi-même). Certes, je ne peux plus m’adonner aux joies de l’échange de ragots sur qui couche avec qui au boulot, ni aux sarcasmes sur les tâches de boeuf bourguignon sur la manche de Georges, mais franchement, ça ne me manque pas trop…

Je ne sais pas si j’ai vraiment répondu à la question de Bruno.

Pour une fois, je n’ai pas de truc.

La solitude, réelle ou ressentie, est un prix à payer ou une bénédiction, selon votre caractère, à mettre en regard des autres avantages ou inconvénients liés au télétravail ou au travail en entreprise.

Si vous avez un job en entreprise épanouissant à tous points de vue, ce serait idiot d’y renoncer. Mais est-ce la norme ? Notre organisation sociale a-t-elle atteint un tel niveau de perfection qu’il serait absurde d’explorer des alternatives possibles ?

Permettez-moi d’en douter.

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(Télé)travailler plus pour gagner plus ou moins plus ou moins

i81028couv896.gif Notre président est un spécialiste des formules qui semblent tomber sous le sens.

Son fameux “travailler plus pour gagner plus” est un bon exemple.

Passons sur le fait que cela va à l’encontre de décennies de progrès social (week-ends, congés payés…)

Passons sur le fait que c’est plus facile à dire qu’à faire. En tant que cadre, vous travaillez souvent toujours plus pour gagner pareil. En tant qu’employé, encore faut-il pouvoir travailler plus.

C’est donc évidemment une formule habile que l’on pourrait traduire par “démerdez vous”. Après-tout, pourquoi pas. C’est le credo libéral, mais qui n’est en l’occurrence pas vraiment assumé.

Toujours est-il que cela fait un moment que ce slogan résonne dans mon cerveau de télétravailleur indépendant.

En tant que télétravailleur, la formule est indubitablement juste. Point de congés payés. Point de treizième mois, point de bonus ou primes.

Si je ne travaille pas, je ne gagne rien. Si je travaille plus, je gagne effectivement plus que si je travaillais moins ou pas du tout.

Sauf que si je suis devenu télétravailleur, ce n’est certainement pas pour gagner plus (j’étais bien payé dans mon dernier job en entreprise). C’est pour gagner assez et pour vivre mieux.

Toute la difficulté de l’exercice est là.

  • En tant que télétravailleur, vous ne savez jamais d’où viendra votre prochain chèque.
  • En cas de trou d’air, c’est la panique.
  • Lorsque vous ne travaillez pas à plein régime, vous flippez, vous culpabilisez. Il faut être à plein régime, pour pouvoir survivre au prochain trou d’air.
  • Lorsque vous travaillez à plein régime, c’est rageant de refuser des jobs (surtout s’ils sont plus intéressants/mieux payés que ceux qui vous occupent).
  • Si vous travaillez en surrégime, vous trahissez la partie “vivre mieux” de l’équation. Fini les balades avec le chien, le goûter avec les enfants qui rentrent de l’école, les siestes crapuleuses avec votre conjoint(e) télétravailleur/euse, etc.

Bref, le dosage, c’est ce qu’il y a de plus difficile.

Mais puisque vous avez eu la gentillesse de lire jusqu’ici, je vais vous faire part d’un petit secret qui n’a l’air de rien comme ça, mais qui fait toute la différence.

Alors voilà. La clé de voûte de l’édifice, c’est de fidéliser une clientèle.

Et pour y parvenir, il n’y a que deux ingrédients essentiels : faire un travail de qualité et, et, et… être fiable.

La qualité, ce n’est pas en faire trop. C’est répondre aux attentes du client. Et c’est bien la moindre des choses.

La fiabilité, c’est tenir les délais.

Tout découle de ce second point. Tout, je vous dis.

  • N’acceptez jamais un job lorsque vous avez le moindre doute sur votre capacité à tenir les délais.
  • Si vous vous apercevez au cours d’un job que vous risquez de ne pas les tenir (en raison d’un paramètre imprévu), vous prévenez immédiatement votre client, vous lui expliquez et vous renégociez des délais (que vous pourrez tenir).

Vous n’êtes pas seul au monde. Il existe a priori d’autres professionnels qui peuvent faire aussi bien que vous, voire mieux.

Mais des fournisseurs qui tiennent leurs délais, vous en connaissez beaucoup, vous ? Et à choisir entre plusieurs fournisseurs à compétences égales, vous ne choisiriez pas celui qui tient ses délais à tous les coups ?

Cela résout quasiment tous les problèmes mentionnés plus haut.

  • Par définition, vous n’acceptez que la quantité de travail que vous pouvez réaliser dans une période donnée (que vous travailliez 2, 4 ou 6 jours par semaine).
  • Vous fidélisez rapidement et efficacement votre clientèle.
  • Vous avez plus de chance de décrocher des jobs récurrents, ce qui diminue un peu l’incertitude.
  • Vous passez moins de temps à chercher du boulot et plus de temps productif.
  • Vous pouvez vous permettre sans crainte de refuser des jobs qu’on vous propose, car cela ne fait que renforcer votre crédibilité et votre réputation de fiabilité.

Vous allez me dire, vous êtes con de nous dire ça. Si on vous prend au mot et qu’on fait tous comme vous, vous allez perdre votre avantage concurrentiel.

C’est vrai. Je suis un idéaliste. Contrairement à 99% des sites sur le télétravail que j’ai pu trouver, je ne vends rien, je n’ai rien à y gagner. Je ne cherche qu’à (modestement) améliorer la réputation du télétravail.

Quand bien même, je ne suis pas inquiet.

Car je sais d’expérience que ce conseil, que j’ai souvent prodigué, n’est que très rarement pris au sérieux. On me dit que c’est un gadget, une évidence ou au contraire que c’est une position trop conservatrice et qu’on peut toujours s’en sortir, même lorsqu’on livre en retard (bref, qu’il faut travailler plus pour gagner plus, coûte que coûte). Sans parler des drogués à l’adrénaline qui ne fonctionnent qu’en situation de stress extrême et qui se retrouveraient en manque s’ils faisaient comme moi.

Et je sais d’expérience que la fiabilité telle que je l’ai définie, ça reste l’exception, la très grande exception. Ce ne sera jamais la norme. D’autant plus qu’il suffit de déroger à la règle une seule fois pour entacher votre réputation de fiabilité à jamais. Mais plus il y aura de fournisseurs fiables, plus les fournisseurs imprévisibles seront écartés au profit des premiers, car les clients ne seront plus résignés à vivre dans l’angoisse qui naît lorsque l’on dépend de fournisseurs imprévisibles.

Au moins, je serai alors du bon côté de la barrière.

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Clics

curs.jpg Le télétravail, c’est du gagnant-gagnant pour employés et employeurs. C’est la science qui l’affirme.

En effet, le site américain ScienceDaily se fait l’echo d’une méta-analyse de 46 études sur le télétravail portant sur 12833 employés sur 20 ans, menée par le Journal of Applied Psychology.

Je vous traduis le début de l’article, intitulé Telecommuting Has Mostly Positive Consequences For Employees And Employers :

Nos résultats montrent que le télétravail a un effet globalement bénéfique car ce mode d’organisation offre aux employés davantage de contrôle sur la manière dont ils accomplissent leur travail” déclare l’auteur principal, Ravi S. Gajendran. “L’autonomie est un facteur majeur de la satisfaction des travailleurs, ce que confirme notre analyse. Les télétravailleurs se disent plus satisfaits de leur travail, ont moins envie de quitter leur société, sont moins stressés, ont trouvé un meilleur équilibre entre la vie privée et professionnelle et sont mieux notés par leurs supérieurs hiérarchiques.

L’étude semble par ailleurs démontrer que le télétravail ne nuit pas à l’avancement ou à la carrière des employés concernés.

À rajouter à votre dossier avant d’aller convaincre votre société de vous laisser télétravailler.

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